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Pédagogie Radicale, ou Chemins de traverse de l'expérimentation individuelle et collective à l'événement esthétique

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The Inflexions of the Undercommons. Lingering Ghosts:

 

 

 


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Inter-sections: notes autour d'une technique sur les rapports musique et pensée

Hubert Gendron-Blais

 

 


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More Than Three Moves: Wind from the East to the West

 

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Inter-sections: notes autour d’une technique sur les rapports musique et pensée

Hubert Gendron-BlaisUniversité
Concordia, Montréal

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Élaborer une technique pour expérimenter autour de la question : « Qu’est-ce que la musique peut apporter à la pensée philosophique ? » ou, formulé autrement, « Qu’est-ce que la musique donne à penser ? ». Au sein d’une démarche artistique et théorique soucieuse du rôle singulier que peut jouer la musique dans l’émergence de communautés affectives. [1]

À partir des Essays on Radical Empiricism de William James – indication d’une possible inspiration théorique. Quelques pistes, pour commencer. Continuum percepts-concepts, du physique et du psychique: les idées et les perceptions se confondent, les traits les plus profonds du réel ne peuvent être trouvés que dans l’expérience perceptive; la réalité est un « experience-continuum », elle est de facto pensante et perceptive. Les relations entre les choses, conjonctives ou disjonctives, font autant partie de l’expérience que les choses elles-mêmes. (Dis)continuité : dimension fondamentale de l’expérience, sur le plan spatio-temporel notamment, mais aussi dans le caractère commun de la perception. [2]

Élaborer une technique donc, comme point d’inflexion qui discontinue/fait tourner la continuité des rapports entre pensée et musique. Si la musique implique une finesse de l’attention auditive, une perception aiguisée des phénomènes sonores, un mode de tending vers les sonorités, c’est qu’elle est en tant telle une forme de pensée: une pensée du sonore, une forme de pratique accrue de la perception de qualités spécifiques du réel. Inter-section: technique d’attention particulière au continuum espace-temps, se disposer à un attunement, relation fine au contexte, au commun – tant dans le percept partagé que dans la virtualité de la rencontre entre deux esprits; la musique pour mieux penser le (rapport au) monde, être au diapason. Inter, relation continue; section, qui coupe, fait émerger de la discontinuité : « Dans cette expérience pleine, concrète et indivise, telle qu’elle est là, donnée, le monde physique objectif et le monde intérieur et personnel de chacun de nous se rencontrent et se fusionnent comme des lignes se fusionnent a leur intersection. » [3] Une pratique en composition, une technique à expérimenter, pour avoir, éthiquement, « a stronger hold on reality. » [4] Des expérimentations qui donnent à penser.

Que la pratique de l’inter-section favorise une sensation de l’ici-maintenant, des vibrations qui permettent de se situer, s’accorder à la temporalité, développer une sensibilité rythmique des évènements : les sons propres aux saisons, la nuit surtout; cet hiver, la neige qui craquèle sous les pas des rares passants, le vrombissement pressé des machines de déneigement. Penser, c’est-à-dire sentir, comment le même son peut constituer la partie commune de l’expérience vécue par deux êtres. Ou même entendre une relation dans l’arrivée même de l’autre, sa démarche, cette manière qu’il ou elle a de monter les marches, de frapper à la porte. Comme ce bruit devient en quelque sorte le seuil même de la rencontre.

Que notre expérience du réel est souvent plus conjonctive qu’elle n’y parait : le bruit des enfants jouant dans la cour d’école; penser à la cour d’école, entendre les mêmes enfants. Entrée en concaténation. Or, c’est souvent la disjonction qui nous fait réaliser ce continuum dans l’expérience : le bruit de la ventilation qui, lorsqu’il cesse enfin, nous rappelle qu’il couvrait le silence jusque-là. Les chocs inhérents à certaines experiences : une coupure dans l’habitude, qui ne produit pas de signes, qui demeure irreprésentable, mais qui produit un effet, dont on peut suivre la trace. Comme dans la pratique musicale, quand un flow s’installe, mais qui est ressenti dans une sorte d’inventivité disjonctive, comme si le geste qui faisait bifurquer, voire qui interrompt la fluctuation, était celui qui du même coup nous permettait de sentir qu’elle avait eu lieu. Comment créer à partir de ces divergences qui activent en se constituant comme forces ? Faire soudainement jouer une piste musicale dans la rue, émergence brusque d’une trame sonore de la situation ?

Discontinuité : un type d’expérience, toujours présent selon James quand on cherche à faire la transition d’une expérience vécue à celle que vit un autre être. [5] À la sortie d’un concert de thisquietarmy à Montréal, constater en discutant avec un inconnu que l’expérience nous a fort différemment marqué (il parlait, dans son penchant nationaliste, d’une musique apte à faire vibrer son peuple – je parlais définitivement d’autre chose). Comme on se fait bien souvent rappeler, au gré des rencontres, que la coupure qui sectionne deux experiences vécues par l’un et l’autre se termine souvent dans le percept partagé, qui se pose dès lors comme ultime barrière entre deux entités perceptives. [6]

Et pourtant: pourquoi peut-on parfois être surpris d’entendre un inconnu parler d’une pièce en particulier en évoquant les mêmes images qui nous sont venues lors de l’écoute de ladite pièce ? « Providence », de Godspeed You! Black Emperor: une rue mouillée par la pluie étincelant sous la lumière des lampadaires la nuit. Comment une musique, écoutée par des différentes personnes, dans un contexte différent, peut-elle être similairement, voire presqu’exactement qualifiée de la même manière? Et si ces qualifications ne se trouvent aucunement dans l’imagerie déployée par les artistes en question, ces évocations analogues seraient-elles simplement issues d’une socialisation similaire, comme des gens qui écoutent un genre de musique en particulier peuvent être à même de bien « faire de », de reproduire ce genre lorsqu’ils jouent ensemble pour la prochaine fois? Ce serait trop simple, justement.

Y aurait-il là la trace d’une perception commune, quelque chose qui permet la conjonction au-delà même des catégories « traditionnelles » d’espace et de temps ? Les musiciens connaissent bien cette sensation singulière, cette perte des repères « officiels » du temps (« on joue depuis une heure déjà ? ») et de l’espace (oublier qu’on se trouve sur scène, voire dans cette ville). La musique tendrait à faire émerger une perception affective, un autre rapport au monde ? Une sortie de soi, une mise en suspens de la proprioception habituelle pour se laisser emporter ailleurs, avec d’autres. [7] Une rencontre: expérience attenante, adjacente, limitrophe (conterminous [8]) ? Comme si le fait de jouer de la musique en collectif revenait à trouver le(s) meilleur(s) partenaire pour se lancer dans une aventure immanente. Un dialogue, une sorte de pacte, des trajectoires qui se croisent. Est-ce cela, bien s’entendre ?

Que l’improvisation musicale [9] est peut-être un des points culminants de l’inter-sectionalité. Parce que les réelles activités créatives doivent être immédiatement vécues. [10] La musique comme pensée du sonore : vivre, être atteint par une multitude de sons, puis prendre l’instrument, penser la multiplicité, s’entendre penser. « On s’élance, on risque une improvisation. Mais improviser, c’est rejoindre le Monde, ou se confondre avec lui. » [11] Essayer de prendre au corps ce quelque chose qui traine autour, relier le perceptible et l’imperceptible, laisser place à ce que l’on entend (presque) pas. Explorer divers chemins : « On savait suivre la voie. » [12] Dans ce périple, il faut parfois s’arranger pour que ce quelque chose jaillisse, créer une ambiance propice. Car c’est souvent une question d’ambiance, une ambiance qui témoigne de la situation, une ambiance apte à l’ouvrir. [13] Il y a, à un tel degré de force, une telle intensité, une difficulté inhérente à l’élaboration collective. D’où la nécessité de se mettre dans les bonnes dispositions créatives.

(Parce) Que se prendre au jeu, s’y mettre en entier, est parfois une question de dispositifs. Les expériences de comprovisation du projet Native Alien de Sandeep Bhagwati : action performative brute, mais avec le codage technologique qui force l’adaptation spontanée du musicien confronté aux réactions d’un logiciel [14]; étrangéisation active stimulée par la virtualisation. Ou encore l’installation Fold, de Lenka Novakova [15], dans laquelle on se perd ensemble, étonnés par nos propres répercussions, échangeant des sourires complices de la même disorientation : les sons émis, retransmis, transformés, contact créé dans la virtualisation – « je passerais ». Dispositifs d’activation – expérimenter ensemble du potentiel (d’ensemble ?), le faire entrer en résonance. Jamais garanti : le meilleur dispositif n’y peut parfois rien.

Élaborer une technique, être prêt à accueillir le temps long, l’échec possible. Demeurer ouvert aux tendances, la laisser vivre, en créer d’autres. Attunement à la conjonction même des techniques. Assumer qu’il n’y a pas de méthode en la matière, voir même qu’ « à la limite, les meilleures expériences musicales seraient celles sur lesquelles on ne peut rien dire. » [16] Non pas parce que, comme le soutient James, seul le silence peut  « parler » là où il y a le fait, l’accident [17], mais peut-être parce que l’intensité musicale exprime quelque chose en tant que telle; elle pense.

Notes

[1] On peut sommairement définir ces communautés affectives comme celles qui sont marquées par la densité des affects qui y circulent, et qui ainsi ne reposent pas nécessairement sur une base ethnoculturelle ou d'intérêts partagés.

[2] En effet, bien que les expériences vécues par deux entités perceptives individuées demeurent toujours discontinues, l’environnement physique dans lequel se déroulent ces expériences est partagé de manière commune. Si les phénomènes sensibles apparaissent ainsi comme les réceptacles des expériences de ceux qui perçoivent dans un même espace, on peut alors penser, de manière spéculative, que ces expériences vécues pourront être également partagées. William James. Essays on Radical Empiricism. New York: Longman. 1912.

[3] Ibid., 8.

[4] Ibid., 7.

[5] Ibid.., 2, II

[6] Ibid. 2, VI.

[7] Hubert Gendron-Blais. Entretien avec Ce qui nous traverse et Philippe Enver. Montréal, 2 janvier 2015.

[8] « In that perceptual part of my universe which I call your body, your mind and my mind meet and may be called conterminous. Your mind actuates that body and mine sees it; my thoughts pass into it as into their harmonious cognitive fulfilment; your emotions and volitions pass into it as causes into their effects. But that percept hangs together with all our other physical percepts. They are of one stuff with it; and if it be our common possession, they must be so likewise. » William James, op.cit., 2, VI. Ainsi, la discontinuité inhérente aux diverses experiences vécues par différentes personnes est aussi le lieu de points perceptuels où se croisent les lignes de pensée de ceux qui partagent un moment musical.

[8] Comprovisation, même : « creation in time-base arts predicated on an aesthetically relevant interclothing of contexts ». Sandeep Bhagwati. Limits, Renewals and Other Alien Music. Montréal, Espace le Cercle Carré, 8 décembre 2014.

[9] Ibid., 6.

[10] Deleuze et Guattari, Mille Plateaux. Paris, Minuit, 1980, p.383.

[11] Neil Young. Une autobiographie. Trad. de Bernard Cohen et Abel Gerschenfeld. Paris, Robert Laffont, 2012.

[12] « Le timbre, la tonalité… décrits en langage commun tu peux que nommer des éléments qu’il y aurait à l’intérieur, faire le tour de la pièce que tu essaies de décrire en décrivant exhaustivement chacun des objets qui s’y trouve, mais jamais tu vas pouvoir saisir l’entièreté du truc. » Hubert Gendron-Blais, op.cit.

[13] « Native Alien is a long-term project – a search for a software that can “hold its own” in an improvised situation with a human performer. […] The Native Alien team (Sandeep Bhagwati/Navid Navab) have developed advanced compositional, comprovisational and sonic software architectures that now are being tried, modified and improved upon in close practical collaboration with outstanding solo performers from many different music making traditions around the world. The end product, we hope, will be an immersive environment for live-composition, as well as a musically empathic software that can play in any style, with any adventurous musician. » http://matralab.hexagram.ca/projects/native-alien/

[14] Fold: « performative audio-visual environment/installation ». http://www.lenkanovak.com/fold/

[15] Il y aurait eu tant d’autres voies à explorer. Deux pistes ouvertes en particulier : une topologie politique du son, les bruits des pouvoirs, le rythme de mouvements ; la dimension physique de la musique : résonance, corporéité, vibrations.

[16] Hubert Gendron-Blais, op.cit.

[17]. À moins que la musique puisse ainsi être comprise comme la voix propre du silence : « […] whatever the thing may be that is denoted by the words, other things do not control it. Where fact, where accident is, they must be silent, it alone can speak. But that does not prevent its speaking as loudly as you please, in its own tongue. It may have an inward life, self-transparent and active in the maximum degree. » William James, op.cit., 12.

Bibliographie

Bhagwati, Sandeep. Limits, Renewals and Other Alien Music. Montréal: Espace le Cercle Carré, 8 décembre 2014.

Deleuze, Gilles et Félix Guattari. Mille Plateaux. Paris: Minuit, 1980.

Gendron-Blais, Hubert. Entretien avec Ce qui nous traverse et Philippe Enver. Montréal, 2015.

James, William. Essays on Radical Empiricism. New York: Longman. 1912.

Young, Neil. Une autobiographie. Trad. de Bernard Cohen et Abel Gerschenfeld. Paris: Robert Laffont, 2012